« Et si nous prenions l’air ? » Yiha !
Par Thierry Gridlet, référent culturel PECA* pour le SeGEC
L’École du Dehors. Une pédagogie qui connecte la découverte de la nature, l’art, la culture mais également toutes les disciplines scolaires. Une pédagogie qui se fonde sur la créativité, l’émerveillement, les apprentissages, l’esprit de groupe, le bien-être… entre autres !
De plus en plus d’enfants de nos classes, de la Maternelle au Secondaire, n’hésitent pas à chausser leurs bottes ou enfiler leur manteau pour sortir de l’école et vivre moults apprentissages avec le ciel comme plafond! Certains la vivent une heure ou deux, d’autres durant une journée… ou davantage chaque semaine!
Les activités en matière d’École du Dehors sont infinies. De plus en plus d’outils sont proposés aux enseignants qui osent mettre le nez dehors. Parmi ceux-ci, focus sur le travail d’une musicienne-pédagogue, Catherine Debu qui, avec son équipe, vient de réaliser un album reprenant 14 chansons qui donnent toutes envie de prendre l’air!
Quel regard portez-vous sur l’École du Dehors? Êtes-vous persuadée que cette pédagogie est porteuse ? En termes de résultats ? En termes de bien-être ?
Jouer et apprendre dehors, c’est profiter d’un espace extérieur sensoriel et moteur nécessaire au développement de chacun. Sortir de son cocon, laisser les écrans, marcher, prendre distance, toucher les matières, se salir, pouvoir parler plus fort que dans un espace fermé… Alors que les jeunes sont davan- tage à l’intérieur, c’est important de ne pas négliger tout ce qui doit se vivredehors, à tous les âges. J’aime beaucoup le petit livre de Marie Masson disponible sur internet et intitulé « Le dehors, un terreau fertile pour grandir ». Quand on le lit, on ne peut être que doublement convaincu !
Actuellement, j’enseigne principale- ment dans le Supérieur, au Départe- ment pédagogique de l’Hénallux à Namur, ainsi que dans la Section pédagogique de l’IMEP. Transmettre la musique à de futurs enseignants qui, eux-mêmes, doivent la faire apprécier à leurs élèves, a toujours été un objec- tif dans mon parcours. Je dirige égale- ment un des chœurs d’enfants de lagrande famille des Clac’Sons à Floreffe, et je suis responsable artis- tique et chanteuse au sein d’un ensemble vocal féminin appelé Kava-Kava. Dans toutes les facettes de mon travail, j’essaie d’apporter ce petit supplément d’âme « magigou- lesque » !
tellement enrichie et fait grandir ! Le chant d’ensemble c’est un moteur de vie pour moi, ce sont des liens humains tellementimportants, des voyages, des langues différentes à prononcer et mémoriser, des souvenirs, des valeurs, beaucoup de partitions et de chansons… J’ai énormé- ment de reconnaissance envers les personnes qui m’ont accompagnée, dirigée et encouragée dans ce domaine.
Catherine Debu, quelques mots pour faire connaissance ?
Pour me présenter, j’aimerais dire que je suis une « Magigoulue » (mot inventé à partir du nom de notre compagnie de chanson « jeune public » : la Compagnie des Magigoulus) ! Être un.e Magigou- lu.e, c’est cultiver l’émerveillement de la
*PECA: Parcours d’Education Culturelle et Artistique
vie, même dans les moments difficiles, c’est être attentif aux petits détails, mettre de la joie et de la magie tant que possible. Mon métier de professeur d’éducation musicale me permet de partager cet état d’esprit « magigoulu » par le bonheur que procurent le chant, l’esprit de groupe et la créativité propres à cette discipline.
D’où vient cette passion de la musique ?
Sous une photo de moi bébé, mes parents avaient écrit : « Une musi- cienne ? ». Il faut croire que je gazouil- lais beaucoup… Je suis née dans une famille où la musique occupe une place importante, avec un papa qui joue du violon, des grands-parents qui entonnaient des chansons lors des fêtes. Vers l’âge de 6 ans, plouf, je suis tombée dans le chaudron magique du chant choral, un univers qui m’a
En quoi l’art est-il important pour vous?
L’art nourrit l’âme, l’imaginaire, la curiosi- té. L’art cultive le goût pour le beau, il questionne… Comment vivre sans ? Impossible… Chaque enfant doit pouvoir être touché par l’art, d’une manière ou d’une autre, c’est essentiel pour grandir.
Quelle est l’histoire des « Magigoulus » ?
L’aventure de la Compagnie des Magigoulus a commencé en 2005. C’est avec ma sœur Emilie – mon binôme de toujours dans la musique – que nous nous sommes lancé le défi de participer à un concours de création de chansons pour jeune public organisé par la Province de Namur. Si nous remportions un prix, l’occasion était donnée de présenter le spectacle d’où était issue la chanson gagnante. Un premier prix ex-aequo et nous voilà au travail avec notre metteur en scène, Vincent Dujardin, pour un spec- tacle coloré dans un décor de jardin, où s’enchainaient des chansons sorties d’un coffre un peu magique. Ensuite il y a eu « La Zique dans le Vent » dans un décor plus marin, suivi du 3e album et spectacle, « C’est ma Zique », sur le thème du cirque.
Vous êtes musicienne… mais visiblement très sensible à la nature…
La nature cultive l’émerveillement, elle permet de mettre tous les sens en éveil. Je pense que la musique procure des sensations semblables. Personnellement, j’ai besoin de vert, des arbres, du chant des oiseaux, de l’odeur de la forêt et de la lumière qui joue avec les couleurs pour me renforcer. Quand je suis dans un beau paysage ou que j’observe le ciel, je me sens en vie, je respire mieux. C’était important pour moi de le chanter. Mes propres chansons de l’album « Balade MaZique » me font du bien !
Parlons justement de celui-ci ! Il est très branché (évidemment !) « École du Dehors »…
Je ne vais pas être très originale en disant que j’ai recommencé à écrire des chansons en période de confine- ment… L’esprit créatif était un peu plus libre à ce moment-là. La nature était aussi à nos côtés pour nous donner de la force.
Mais les Magigoulus ont toujours aimé chanter dehors, les titres de nos albums précédents : « La Zique sur le Gazon », « La Zique dans le Vent », en sont la preuve!
Chanter le « dehors » rencontre aussi une façon de voir l’éducation de l’enfant. L’équipe pédagogique de la section préscolaire de l’Hénallux à Namur, avec laquelle j’ai la chance de travailler et d’apprendre beaucoup,
prône avec conviction et créativité cette pédagogie du dehors. Les sorties sont très importantes dans le parcours de nos étudiant.e.s qui doivent les mettre en pratique lorsqu’ils sont en stage. Créer des chansons sur ce thème était aussi une façon pour moi de soutenir, d’enrichir les sorties avec une petite touche musi- cale supplémentaire.
Comment avez-vous choisi le thème deschansonsde«BaladeMaZique»: une pomme de pin, un merle noir, descabanes…?
Dans cet album, je me rends compte que derrière chaque chanson se cache un souvenir : une promenade un peu lente avec un enfant curieux et son cheval imaginaire, un ciel rouge incroyable, une chanson des Beatles que j’aime beau- coup, un apiculteur qui m’offre du miel, ma sœur qui me raconte toute la symbo- lique des pommes de pin, la rencontre avec une artiste qui pratique le Tatakizo- mé (une technique que je ne connaissais pas), l’écureuil qui est un animal qui me donne le sourire, le souvenir d’unecabane un peu folle construite sur la table du salon… En y réfléchissant, je me
rends compte que c’est ce qui fait que cet album est peut-être un peu plus «personnel».
En quoi une chanson est-elle un «bon» outil pour l’École du Dehors ?
Une chanson se glisse partout. Elle est là pour mettre une bonne ambiance dès le départ, pour fédérer le groupe, le faire avancer joyeusement, le réunir et reprendre son attention lors des moments d’arrêt. En chemin, on chante ce que l’on rencontre (des pommes, des animaux, des éléments de la nature…). Une chanson peut permettre de reprendre son souffle : apaiser la respi-ration, chanter pour ses élèves lors d’un moment de détente. Une chanson peut également devenir une ronde autour d’un arbre. Chanter dehors est à la fois
simple et audacieux car cela veut dire chanter souvent par cœur, en saisis- sant une opportunité, sans support sonore (mp3 ou autre…). Il faut oser donner de la voix et que celle-ci remplisse cet espace infini du dehors ! C’est possible et cela fait beaucoup de bien !
Quelles sont les caractéristiques d’une chanson efficace?
La mélodie doit rester en tête et pour cela, il faut qu’elle soit bien chantante. J’aime aussi que le texte soit musical dans sa construction et dans sa sonori- té. Dans mes chansons, il y a souvent une phrase ou un motif répété qui permet aux plus jeunes de participer vocalement assez rapidement. C’est encore mieux si la chanson fait sourire, touche, donne envie de danser, propose des gestes, inclut des mots dans différentes langues ou rend curieux. J’essaie bien entendu que mes compositions soient efficaces et avant de les enregistrer, cela m’aide de les
tester avec des enfants pour les amélio- rer. Parfois je retouche la mélodie, le texte ou la structure en fonction de leurs retours.
Vous êtes pédagogue. Dans le recueil qui accompagne l’album, vous proposez des pistes pédago- giques. Une chanson peut simple- ment être chantée. Mais pour vous, il est intéressant de faire « un pas plus loin »…
Les pistes pédagogiques sont là pour mettre en évidence les spécificités musicales des chansons, les remettre dans leur contexte, ou pour expliquer certains gestes qui peuvent être effec- tués tout en chantant. Mais nous en avons aussi profité pour faire des liens avec des exercices plus rythmiques par exemple. Et bien entendu, s’en tenir au chant est déjà un travail musical très riche qui fera certainement progresser l’enfant au niveau langagier !
Vous avez aussi composé « On y va » pour une école. Pourquoi ? Une demande de l’enseignante ?
Oui, en effet, je savais que l’Ecole Ste-Begge V de Petit-Waret était en plein projet choral dans le cadre du PECA et le thème du concert en préparation était la nature. Comme j’étais sur ma lancée créative, j’ai proposé à Johanne Herphelin, enseignante en Maternelle, de composer une chanson pour ce projet particulier. Elle m’a soufflé quelques mots et idées pour écrire un chant qui donne envie de sortir et d’apprécier la nature. « On y va » donne tout son sens à l’album et peut démarrer toutes les sorties. Les retours des écoles qui ont déjà appris nos chansons sont enthousiastes et c’est très beau d’entendre les plus jeunes soutenus par les voix des plus grands, entonner «La chanson des Trésors» ou encore «Arbaro».
Lecture rythmique avec des «trésors» ramassés lors d’une sortie
Exemple ici, avec des feuilles et des marrons, mais tous les éléments/mots en 1 et 2 syllabes « orales » sont intéressants. Pour les plus grands, on peut aussi proposer des mots en 3 syllabes. Sur une pulsation donnée par le meneur ou sur une bande-son, l’enfant lit/dit ce qu’il voit, en y ajoutant le détermi-
nant. Il peut aussi parler tout en frappant des mains. Un marron = le rythme
Une feuille = le rythme (ne pas dire les « e » muets) Une feuille – un marron – une feuille – un marron
Parlez-nous de votre expérience «OSE» avec les étudiants de l’Hénallux?
Le projet OSE dans notre Haute Ecole est une activité d’enseignement qui propose une ouverture sur l’extérieur avec généralement une découverte culturelle comme point de départ (musée, art dans la ville, patrimoine naturel, traditions, spectacle…), tout en développant l’audace de tous les étudiants impliqués au niveau de l’expression artistique (corps, parole, musique et arts plastiques). Ce projet aboutit à une production artistique créée par les étudiants (spectacle, réalisation de capsules vidéos…) avec également un aspect pédagogique comme par exemple la réalisation d’un outil didactique sur le thème travaillé, l’invitation et la participation d’enfants à des sorties culture-nature, à des visites animées, aux spectacles… Le projet est différent chaque année et il laisse de beaux souvenirs dans les cœurs!
également les
Vous ouvrez
étudiants de l’Institut royal supé- rieur de musique et de pédagogie de Namur (IMEP) à « L’École… ou la musique du Dehors »…
En effet, des liens se tissent chaque année entre les étudiants de l’IMEP et les étudiants de l’Hénallux, pour vivre des sorties communes ou même en concevoir avec mon aide. Une partie des étudiant.e.s dont je suis respon- sable à l’IMEP sont de potentiels professeurs d’expression musicale en Haute École. J’en profite donc pour les sensibiliser à l’École du Dehors et pourmieux cibler avec eux tout ce que l’on peut apprendre musicalement quand on est en extérieur.
A l’IMEP, il est vrai que nous avons aussi un rêve qui a été exaucé grâce à notre directeur. Nous rêvions d’une yourte dans le jardin de l’école pour y faire notre nid pédagogique et y accueillir des classes d’enfants afin d’être plongés dans la réalité profes-sionnelle du métier. Le rêve s’est réali- sé et c’est la 3e année que nous vivons et pratiquons la musique au fil des saisons, au pied de tilleuls magni- fiques. C’est une grande chance!
Revenons à l’album « Balade MaZique » que vous avez composé. Derrière celui-ci se cache toute une équipe, n’est-ce pas ?
L’esprit d’équipe est une valeur qui me tient fort à cœur et je tiens à remercier toutes les personnes avec qui j’ai le bonheur de cheminer sur les sentiers à la fois pédagogiques et musicaux. En ce qui concerne l’album « Balade MaZique », je remercie nos musiciens, les enfants qui sont venus chanter, Pierre Bartholomé du Green field studio et surtout Émilie, ma sœur, qui illustre les chansons, gère tout l’aspect informatique mais également la réalisation du livre de partitions/pa- roles/audio qui sera bientôt disponible à la vente. Toutes les informations pratiques pour se le procurer seront sur notre site internet. N’hésitez pas à nous suivre et chanter avec nous en vous rendant sur notre chaine Youtube, Spotify ou Deezer…
Dans le paysage « mazique » des Magigoulus, les arbres invitent à danser et à prendre l’air, bien entouré d’amis. Le chant d’un merle joyeux accompagne la marche des bottes colorées qui avancent en cadence. La forêt sent bon, les gouttes de rosée sont des trésors à observer. Les enfants deviennent des domp- teurs de pommes de pin tout en rêvant de voir un écureuil… L’air vivifiant porte au loin la mélodie des voix mélangées, le ciel est en baleine et on y oublie le monde un peu blême…
Bon voyage musical dans le paysage
en-chant-é des Magigoulus ! Balade Mazique :
Catherine Debu (compositions, voix, flûte alto, tongue drum, direction musicale) Emilie Debu (voix)
Coline Hubeaux Debu (voix)
Philippe Beaujot (piano)
Virginie Petit (violon)
Luc Vanden Bosch (percussions)
Chœurs d’enfants : Apolline Beaujot, Coline Hubeaux Debu, Soline Demont, Louise Minner, Julia Van der Linden, Alice Vandervorst
Prise de son et mixage : Pierre Bartholomé – Green Field Studio, avril 2023
Pour nous retrouver ou nous contacter :
www.magigoulus.be – magigoulus@gmail.com – www.facebook.com/magigoulus www.youtube.com/@magigoulus
Diffusion :
Les éditions namuroises
info@editionsnamuroises.be – www.editionsnamuroises.be
Prix public de vente : 18€
Crédit :
Illustrations noir et blanc et mise en page du livre Balade MaZique : Emilie Debu
Dessins couleurs : Coline Hubeaux Debu
Photos: Luc Vanden Bosch et Thierry Gridlet
Mise en page de l’article : Julie Gustin
Retrouvez cet article – ainsi que d’autres ayant pour thème “Paysage : nature et culture” – dans le numéro 10 (novembre 2023) du magazine “Epicure” www.cellule-epicure.com